Commentaires de la SPILF à propos du projet de Stratégie Nationale de Santé

Samedi 07 Octobre 2023
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Réponses et propositions de la SPILF à la consultation publique sur le projet de Stratégie Nationale de Santé (SNS)
01 Octobre 2023

Ce texte permet de tracer les lignes directrices de la SNS pour les 10 ans à venir. Ce projet est donc ambitieux et se doit d'être visionnaire. Concernant les maladies infectieuses, certains aspects essentiels pour les années à venir devraient être intégrés dans la SNS.
De façon générale, la part réservée aux maladies infectieuses est réduite. Les crises sanitaires ne sont abordées que sous la forme de pandémies et émergences alors que les virus hivernaux « classiques » représentent la cause principale de déstabilisation du système de santé. Le problème de l'antibiorésistance n'est jamais évoqué  alors qu'il s'agit de l'une des priorités de santé publique et que la démarche « one health », plusieurs fois citée dans le texte, est particulièrement importante sur ce sujet. En corollaire le bon usage des anti-infectieux n'est jamais évoqué alors que malgré les progrès observés, la France reste l'un des pays européens les plus consommateurs d'antibiotiques. Une stratégie nationale de prévention des infections associées aux soins et de l'antibiorésistance est portée par le ministère de la santé et des solidarités.
Les parcours de soins des patients atteints de maladies infectieuses ne sont pas évoqués. La prévention est peu développée, de même que la santé sexuelle ou la prise en charge des populations précaires.

Prévention des infections et lutte contre l'antibiorésistance :

La lutte contre l'antibiorésistance est une priorité nationale, européenne et mondiale. L'OMS a identifié l'antibiorésistance comme l'une des 10 plus grandes menaces pour l'humanité. Une stratégie nationale de prévention des infections associées aux soins et de l'antibiorésistance a été publiée en 2022. Cette stratégie définit les ambitions à échéance 2025 et les orientations stratégiques. Les mesures à mettre en oeuvre sont précisées sous forme d'actions. Des cibles et des marqueurs d'impact sont identifiés pour chaque action. Cette stratégie s'intègre dans un contexte One health et prend en compte les aspects environnementaux, en santé animale et humaine. Ce travail devrait être référencé et intégré dans la stratégie nationale de santé 2023–2033

Contexte:
Sans antibiotiques efficaces, la médecine telle que nous la pratiquons ne sera plus possible. Les infections dues à des bactéries multi-résistantes aux antibiotiques étaient responsables en 2019 de près d'1,3 million de décès attribuables dans le monde, soit plus que le VIH ou le paludisme. En Europe, selon l'ECDC, le fardeau de l'antibiorésistance correspond à celui du VIH, de la tuberculose et de la grippe combinés. Des cibles ambitieuses à atteindre d'ici 2030 ont ainsi été proposées par le Conseil de l'UE. En France en 2019, toujours selon l'ECDC, environ 100 000 infections à bactéries multi-résistantes sont survenues, responsables d'environ 4500 décès.

Maillage territorial et axes prioritaires du bon usage des anti-infectieux:
Conformément à la stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l'antibiorésistance en santé humaine sus-citée, le maillage territorial est l'une des priorités nationales (Axe 4 de la stratégie). Les deux piliers de cette stratégie nationale sont les actions de prévention et de contrôle des infections communautaires et associées aux soins (reposant notamment sur les mesures d'hygiène et la vaccination) et celles promouvant le bon usage des antibiotiques. Toutes les mesures mises en place pour assurer ces actions au plus près des prescripteurs et consommateurs doivent être inscrites dans la SNS et pérennisées (centres régionaux en antibiothérapie, équipes multidisciplinaires en antibiothérapie).



Formation et information :
Le grand public doit être acteur du bon usage et doit bénéficier d'une information (situations de non-prescription, durées, observance, risques liés à l'automédication…) et être impliqué dans le respect des règles de bon usage des médicaments (dont les anti infectieux). Les réseaux sociaux pourraient être utilisés. Les enfants sont les consommateurs de demain et devraient bénéficier d'une formation intégrée dans les programmes scolaires.
Pour les professionnels de santé, le bon usage des anti-infectieux doit faire partie de la formation initiale et continue. La pertinence des prescriptions doit être surveillée et les résultats doivent être transmis de façon personnalisée aux « prescripteurs atypiques ».
Les règles de dispensation des anti-infectieux doivent être revues.
Les tests de diagnostic rapide doivent être développés en prenant en compte les contraintes techniques et leur utilisation pourrait être valorisée.
Les pénuries en médicaments doivent être anticipées et une information rapide doit être transmise aux professionnels et aux usagers pour expliquer les conséquences, inciter à un moindre usage des antibiotiques et proposer des alternatives si nécessaire.

Propositions de modifications à apporter au texte de la SNS soumis à consultation publique

Page 20 : 4.1.2.10 Mieux prévenir les infections et l'antibiorésistance
Bien que moins impactantes que les maladies non-transmissibles, les infections, y compris celles dues à des agents infectieux multi-résistants, reviennent en force, et nombre de patients atteints de maladies chroniques y sont plus à risque, comme l'a démontré la pandémie du Covid-19 qui a touché et déstabilisé le monde entier. Des facteurs environnementaux jouent aussi comme l'illustre le concept d'« une seule santé ». L'augmentation des maladies provoquées par des animaux (appelées zoonoses) et la progression de l'antibiorésistance au niveau mondial appellent à une vigilance accrue pour le risque infectieux et la reprise des bonnes pratiques en santé humaine, animale et environnementale.

La dynamique de déploiement à grande échelle des politiques de prévention et contrôle des infections communautaires et associées aux soins, notamment la promotion des mesures universelles d'hygiène définies récemment par le HCSP, ainsi que des politiques promouvant le bon usage des antibiotiques, en particulier le renforcement du maillage territorial, doivent se poursuivre et se renforcer, conformément à la stratégie nationale 2022-2025 de prévention des infections et de l'antibiorésistance en santé humaine. Une dimension Une seule santé ambitieuse sera inscrite dans la future feuille de route décennale de prévention et de réduction de l'antibiorésistance.
Cibles à atteindre :
D'ici 2030, 100% des GHT ont une équipe multidisciplinaire en antibiothérapie en place.
D'ici 2030, la France a réduit d'au moins 30% sa consommation totale d'antibiotiques (en prenant l'année 2019 comme référence).

Page 42 : 4.3 Rendre notre système de santé plus résilient et mieux préparé face aux défis écologiques et aux crises.
(Dernier paragraphe)
Plus globalement, la France reste confrontée à l'émergence de nombreux défis en matière de santé publique et santé environnementale dans un contexte d'internationalisation des échanges (synonymes de propagation plus rapide et plus fréquente des maladies illustrée par les récentes épidémies d'infections respiratoires aiguës ou l'augmentation préoccupante de l'antibiorésistance au niveau mondial), de développement technologique (risque cyber), d'aggravation des impacts du changement climatique (canicule, chaleur, catastrophes naturelles) et de médiatisation forte des questions sanitaires, auxquelles l'opinion est très sensible.


Règles d'hygiène et de prévention primaire et secondaire de la transmission des infections :
Formation et information des professionnels et du grand public : les mesures barrières ont été acquises au cours de la crise liée au Covid-19 et doivent être encouragées dans certaines situations. Le matériel adéquat doit être disponible. La communication doit être poursuivie en impliquant les associations de patients dans la prévention primaire et secondaire des infections : certains patients particulièrement fragiles et exposés doivent bénéficier d'une information spécifique sur les risques infectieux, les mesures de détection et de prévention primaire (vaccination, prophylaxie…) et secondaire des infections. Le rôle des associations de patients est essentiel. Leur parole peut être utilement relayée par les professionnels de santé. Des documents de prévention devraient être disponibles et remis aux patients. Des séances de formation et d'éducation thérapeutique doivent être disponibles pour ces patients et leur entourage.
Une adaptation des locaux doit permettre le respect des règles d'hygiène au cours de la prise dans les établissements de soins (chambres individuelles, chambres avec sas, pression négative, secteurs protégés …)

Vaccination :
Il y a dans le corps social de nombreux phénomènes d'hésitation vaccinale et/ ou de rejet pur et simple du vaccin dont la conséquence est à terme le risque d'une diminution des couvertures vaccinales chez l'adolescent ou l'adulte pour plusieurs vaccins non-obligatoires.
Le grand public doit bénéficier d'une information et d'une sensibilisation à la vaccination. Les programmes de l'Education nationale pourraient intégrer un volet sur la vaccination[1]
La couverture vaccinale doit être améliorée chez les adolescents, les adultes jeunes, les personnes en situation de précarité, ou à risques particuliers, et les soignants.
Pour cela l'accès à la vaccination doit être facilité (élargissement des compétences à tous les professionnels de santé, nombres de sites de vaccination…. Mise à disposition de certains vaccins chez le médecin généraliste, gratuité des vaccins)
Le carnet de vaccination électronique est un outil qui facilite l'observance vis à vis de la vaccination, il devrait être « intégré » dans le dossier médical du patient (DMP).
Cibles :
D'ici 2030, 75% de couverture vaccinale anti-grippe chez les personnes âgées de plus de 65 ans
D'ici 5 ans, 95% de CV ROR deux doses dans la population

II- Préparation à la survenue de maladies émergentes ou ré émergentes dans un contexte de santé globale (One health) : le sujet est abordé dans le projet mais certains points devraient être précisés.

La crise sanitaire liée à la Covid-19 a mis en évidence les lacunes en termes de préparation. Différents types d'émergences ou réémergences peuvent survenir, pour lesquelles le système de santé doit être mieux préparé.
Les épidémies hivernales dues aux virus tels que la grippe, le virus respiratoire syncycial (VRS ou SRV), le SARS-CoV-2 ou d'autres, mettent le système de santé en tension sur des périodes souvent longues (6 mois / an).  Les praticiens de 1er recours sont rapidement dépassés, il n'existe pas de personnels ni de locaux de recours identifiés en cas de survenue d'un épisode de ce type. Ces épisodes ne sont pas évoqués dans le projet soumis alors qu'ils font partie du quotidien des soignants et de la population sur une période annuelle de 6 à 7 mois. Des mesures consensuelles doivent être anticipées et proposées pour éviter des situations incohérentes selon les zones du territoire. Par exemple le port du masque à des dates fixes et/ou à partir de certains seuils épidémiques devrait être une décision annoncée, anticipée et assumée.
L'émergence ou la réémergence de maladies considérées comme éradiquées (variole) pour lesquelles l'immunité collective est insuffisante reste une possibilité comme l'a montré l'épidémie de Mpox. Cette hypothèse n'est pas évoquée et doit pourtant faire l'objet d'une surveillance attentive.
L'ensemble des professionnels de santé (praticiens et soignants de premier recours, ambulanciers, transporteurs et professionnels de santé des établissements de soins) doivent bénéficier d'une préparation à la gestion des émergences.

Les personnes infectées par des micro-organismes hautement pathogènes provenant d'autres continents, doivent bénéficier d'un circuit d'orientation et de prise en charge spécifique au sein d'établissements de référence (ESR). La préparation des équipes doit être maintenue et les systèmes de transport doivent être optimisés. Il faut souligner cependant que les bactéries hautement résistantes aux antibiotiques ne sont pas exclusivement acquises en dehors du territoire national.
Indicateurs cibles possibles : nombre de professionnels de santé ayant bénéficié d'une préparation à l'émergence (personnels médicaux et paramédicaux ciblés) ; nombre de chambres en pression négative disponibles sur le territoire métropolitain et dans les DROM) 

Plusieurs risques infectieux doivent être surveillés de façon spécifique dans une réflexion de santé globale (One health) afin d'anticiper les mesures à mettre en place :
Surveillance des maladies à transmission vectorielle, en particulier les maladies transmises par les moustiques (Aedes notamment)
Surveillance des zoonoses résultant de l'évolution des modes de vie (davantage de proximité avec les animaux sauvages, nouveaux animaux de compagnie…)
Surveillance des risques spécifiques dans les territoires ultramarins
En prenant en compte l'augmentation des risques, notamment infectieux, liés au changement climatique (ce qui justifie un paragraphe à part dans la SNS)

Indicateur cible : nombre de pathogènes surveillés par des dispositifs nationaux

Santé sexuelle : le sujet est abordé dans le chapitre 4.1.2.7. Cependant certains points ne sont pas abordés, tels que :

La prévention des IST : la vaccination HPV pourrait apparaître dans ce chapitre, d'autant qu'une campagne nationale est en cours de déploiement. Le suivi de cette campagne permettra de fournir des indicateurs d'adhésion de la population.
Cibles :
D'ici 2030, 80% de couverture vaccinale anti-HPV chez les filles
La prise en charge doit être facilitée (CeGIDDs qui ont vocation à évoluer vers des centres de santé sexuelle)
Renforcer le rôle des associations, développer la stratégie de « l'aller-vers ». La santé sexuelle fait partie des situations qui devraient être intégrées dans le chapitre concernant « l'aller-vers ».
Formation des professionnels de santé au dépistage et à la prévention
Cible possible : couverture géographique et élargissement des missions des CEGIDDS sur le territoire français.

Santé des migrants : ces populations précaires doivent bénéficier de mesures de prévention et de dépistage dans le cadre d'un parcours de soins clairement identifié. Les centres de soins primaires doivent être au coeur du dispositif. Pour améliorer l'implication des soignants et inciter les populations à aller vers les structures de soins, les mesures administratives permettant le recours aux soins doivent être simplifiées, l'implication des professionnels pourrait être valorisée.
Cible possible : développement d'une activité médicale systématique (santé et soins) dans les centres d'hébergements

Populations à risque spécifique :
Immunodéprimés
Femmes enceintes et nouveau-nés : Infections à transmission materno-foetale
Personnes vivant dans des lieux de privation de liberté
Malades chroniques
Personnes vivant dans les EMS et Ehpad
Voyageurs en zones endémiques porteurs de diverses maladies tropicales.
Cible possible : taux de couverture vaccinale spécifiques pour ces populations à risque.

Fardeau des séquelles et conséquences à long terme des maladies infectieuses :
Les conséquences à long terme de certaines maladies infectieuses sévères telles que les infections neuro méningées, les infections vasculaires, certaines viroses et  maladies émergentes ou ré-émergentes (Covid-19 par exemple) sont mal connues et souvent mal évaluées. Des consultations de suivi devraient être proposées de façon plus systématique pour certaines pathologies. Ces consultations spécifiques doivent s'intégrer dans le parcours patient et devraient être valorisées. La recherche doit se développer également dans ce domaine.

En conclusion il nous apparait que plusieurs points essentiels manquent dans ce projet :

1. La prévention des infections associées aux soins et de l'antibiorésistance est une priorité de santé publique et doit faire l'objet d'un chapitre clairement identifié dans cette stratégie nationale de santé, en accord avec la « stratégie nationale de prévention des infections et de l'antibiorésistance » portée par le ministère de la santé et des solidarités. Ce chapitre doit donc faire référence au texte de cette stratégie publié en 2022, qui détaillait actions et cibles.

2. La préparation aux crises doit intégrer les épisodes habituels liés aux virus hivernaux qui déstabilisent le système de santé tous les ans et pour lesquels les parcours patients et les conditions de prise en charge ne sont pas adaptés. La préparation à l'émergence ou réémergence de certains pathogènes doit également être améliorée.

3. La santé sexuelle doit faire l'objet de mesures d'information et de prévention s'intégrant dans une démarche d'aller-vers.

4. Les séquelles des maladies infectieuses doivent être prises en compte puisqu'elles représentent un fardeau pour les patients mais également pour la société.

 
 
[1] https://eduscol.education.fr/2603/epidemies-et-vaccins
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