Gazette de l'infectiologie: Covid-19, 6 ans après
Mercredi 08 Octobre 2025
Covid-19, 6 ans après : le bilan
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Six ans après l'émergence du Covid-19 et sa propagation mondiale, quel bilan tirer ? Épuisement des soignants, désinformation, défiance vaccinale : quel en a été l'impact ? Vaccins, traitements, collaboration scientifique : les avancées sont-elles pérennes ? Enfin, est-on mieux préparé aux futures pandémies ? Éléments de réponse avec nos trois spécialistes.Une maladie devenue endémique
En août 2025, l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS) recensait 168 000 décès dus au Covid-19 en France et 7,1 millions dans le monde – un bilan largement sous-estimé. En effet, tous les cas n'ont pas été déclarés, certains pays minimisant même sciemment leurs chiffres. Il est aussi difficile d'estimer le nombre de morts indirectes, provoquées par d'autres maladies non ou mal traitées, à cause de l'engorgement des systèmes de santé par exemple.
Au fil des ans, « le virus s'est beaucoup adapté aux défenses immunitaires de l'Homme. Il continue à muter pour y échapper. Il est devenu moins grave, mais plus transmissible », précise la Pre Karine Lacombe, cheffe du service maladies infectieuses de l'hôpital Saint-Antoine, à Paris. Aujourd'hui, « c'est une maladie devenue endémique. Le virus est présent toute l'année, avec des bouffées épidémiques tous les trois à quatre mois. En effet, l'immunité acquise via l'infection par le virus ou le vaccin diminue dans le temps. Le réservoir de personnes susceptibles d'être (re)infectées redevient donc régulièrement assez conséquent », ajoute-t-elle. Si la plupart des virus respiratoires sont saisonniers, telle la grippe, ce n'est pas le cas du Covid-19 ; il circule été comme hiver.
Aujourd'hui, la surveillance généralisée de l'épidémie a cessé en France. Le dépistage ne cible plus que les gens dont les symptômes persistent et ceux particulièrement à risque, comme les personnes âgées, avec des comorbidités ou immunodéprimées. Chez ces dernières notamment, « le Covid-19 est très dangereux, car il peut se répliquer longtemps et, au bout de quelques mois, provoquer une décompensation respiratoire », alerte l'infectiologue.
Au-delà du bilan sanitaire, la pandémie a aussi provoqué des ondes de choc, positives et négatives, aux conséquences durables.
Des défis sociaux...
Brouhaha médiatique, désinformation et complotisme – parfois même au sein de la communauté scientifique et médicale : le traitement de la crise du Covid-19 a provoqué un scepticisme, voire une défiance, qui ont durablement divisé la société. Florence Ader, infectiologue praticienne au CHU de Lyon et professeure de médecine, recontextualise : « L'émergence des réseaux sociaux permet désormais à chacun d'exprimer une opinion non fondée sur la rationalité scientifique. Un très faible pourcentage de sceptiques ou d'antivax peut faire circuler un grand nombre de fausses informations, générant ainsi doute et confusion ». La Pre Ader, qui s'est beaucoup investie au plus dur de la crise, témoigne : « Les acteurs-clés de la veille épidémiologique, des diagnostics, des cliniciens dans les hôpitaux et les responsables politiques étaient débordés et prenaient des décisions très difficiles, avec une responsabilité écrasante. La plupart n'avaient pas le temps de batailler au quotidien pour contrecarrer la désinformation, tandis que tout le monde en périphérie avait une opinion. »
Fondamentalement, la pandémie a révélé un manque criant de culture scientifique chez le grand public, mais aussi chez les journalistes et les décideurs politiques. « Ce que les gens n'ont pas perçu est la volatilité de ces situations pandémiques. Ce qui est valable à un instant t0 ne l'est plus à t+1. J'aurais souhaité que les médias se limitent à quelques interlocuteurs fiables, plutôt que de fonder leurs programmes sur le doute et son débat », déplore l'infectiologue. Les conséquences furent lourdes : « Il y a eu, en finalité, la décrédibilisation des décideurs publics, de la recherche et de la santé. Tout cela a fait des dégâts énormes, surtout à l'hôpital. Dans mon service, 80 % des infirmières sont parties après le Covid-19, épuisées et dégoûtées par ce qu'elles entendaient à l'extérieur. Ce climat particulier en France n'était sans doute pas aussi marqué dans les autres pays. »
... et des avancées scientifiques
En revanche, du point de vue de la recherche médicale, la pandémie fût un moteur extraordinaire, grâce à une mobilisation scientifique sans précédent. Et l'État a suivi, ajoute Florence Ader : « au niveau national, nous avons bénéficié d'un fort soutien dans le cadre du plan France 2030, qui a financé des projets visant à accélérer la mise en place de plateformes de recherche. Ces dernières (OPEN-ReMIE pour les médicaments, et I-REIVAC-Emergence pour les vaccins) sont capables de déployer rapidement des essais cliniques de recherche interventionnelle à grande échelle sur le plan national, avec des réseaux organisés et dotés de moyens. » Cette nouveauté est en voie de pérennisation, le réseau français s'intégrant dans des réseaux européens.
Cette accélération est de bon augure pour le futur, car elle écourte le temps entre l'émergence d'un nouveau virus et la mise à disposition de thérapies ciblées. Parmi les avancées médicales, la professeure cite les médicaments antiviraux directs – des comprimés ou traitements intraveineux qui agissent sur la réplication du virus – et les anticorps monoclonaux synthétiques : « Cela consiste à fournir des anticorps supplémentaires pour neutraliser et détruire les cellules infectées par le virus, et ainsi en diminuer la quantité. »
Vaccination : où en est-on ?
L'autre progrès majeur concerne bien sûr les vaccins à ARN messager, produits moins d'un an après la déclaration de la pandémie. Odile Launay, infectiologue et chercheuse, explique leur principe : « On donne les instructions à nos cellules pour fabriquer la protéine d'intérêt [la clé permettant de pénétrer dans les cellules], ici la protéine Spike du virus SARS CoV-2 dans le cas du Covid-19 Le système immunitaire reconnaît ensuite cette protéine et apprend à produire des anticorps neutralisants pour se protéger contre le virus. Ces vaccins ont prouvé leur efficacité et leur sûreté. Ils sont rapides à fabriquer et peuvent être rapidement adaptés aux variants. » En effet, une quinzaine de jours suffisent à les développer, une fois identifié le génome du variant.
En revanche, les vaccins Covid ARNm limitent peu la transmission de la maladie et leur protection reste de courte durée. « Elle est maximale durant les trois premiers mois et s'étend sur six mois », précise-t-elle. La maladie étant devenue courante, les recommandations ont évolué : « Il n'y a plus de vaccination généralisée de la population. Elle est désormais réservée aux personnes les plus à risque de formes graves : les personnes âgées de plus de 65 ans, les personnes atteintes de maladies cardiaques, respiratoires ou neurologiques, et les personnes immunodéprimées. » Une dose est recommandée à l'automne, plus un rappel au printemps pour les personnes âgées de plus de 80 ans et les personnes immunodéprimées.
Si la vaccination a permis de sauver des millions de vies (15,5 millions de personnes dans le monde durant la première année de vaccination, et 1,4 million en Europe entre décembre 2020 et mars 2023) et reste donc de mise, les gestes barrières demeurent essentiels. Port du masque en cas de symptômes, comme la toux notamment, ou en présence de personnes fragiles, aération régulière des pièces, lavage fréquent des mains : des réflexes simples et efficaces appris lors de la pandémie, mais largement oubliés depuis... Un paradoxe de plus dans ce bilan du Covid-19.
Un grand merci aux professeures Florence ADER, Karine LACOMBE et Odile LAUNAY pour leurs témoignages.
Ce reportage vous a été proposé par la Société
de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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