gazette de l'infectiologie: L'accès aux soins pour tous : un enjeu de santé publique

Lundi 09 Mai 2022
L'accès aux soins pour tous : un enjeu de santé publique.

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L'égalité dans l'accès aux soins a beau être un pilier de notre système de santé, de nombreuses personnes renoncent ou tardent encore à être soignées. Ces angles morts de la santé publique forment un terreau fertile à la propagation de maladies infectieuses transmissibles, impactant au final toute la société.

C'est l'un des grands principes fondateurs de l'Assurance Maladie : garantir un accès aux soins pour tous, sans aucune discrimination. Un objectif qui se retrouve jusque dans le serment d'Hippocrate que prêtent tous les médecins. Mais dans les faits, sommes-nous véritablement tous égaux lorsqu'il s'agit de se faire soigner ? « La situation en France est meilleure que dans beaucoup d'autres pays, mais il y a encore des lacunes avec des populations qui n'ont toujours pas accès aux soins ou qui y renoncent. Globalement, on observe même une régression inquiétante depuis quelques années » constate Pierre Tattevin, chef du service des Maladies infectieuses au CHU de Rennes.

Parmi les personnes les plus susceptibles d'échapper à notre système de santé se trouvent les populations les plus précaires. Des dispositifs permettent normalement d'assurer un accès aux soins aux revenus les plus modestes, comme la Complémentaire santé solidaire, dispositif remplaçant depuis 2019 la couverture médicale universelle (CMU) et permettant en théorie de prendre en charge les frais de santé des plus pauvres. « Le système change régulièrement et a tendance à se complexifier, donc de plus en plus de gens sont perdus et pensent ne pas pouvoir se faire soigner, observe Pierre Tattevin. Une autre explication est aussi à chercher du côté des praticiens adeptes des dépassements d'honoraires. » Si un professionnel de santé ne peut légalement pas facturer un tel dépassement à une personne couverte par la Complémentaire santé solidaire, sur le terrain, les choses s'avèrent plus nuancées.

Depuis plusieurs années, un grand nombre d'enquêtes pointent des refus de certains praticiens, certes minoritaires mais pas marginaux, d'accepter des personnes bénéficiant d'une couverture santé solidaire. Dans une vaste enquête menée en 2019 sur 1 500 cabinets médicaux, 12 % refusaient de tels profils alors qu'ils acceptaient de nouveaux patients plus aisés. Le chiffre peut encore grimper pour certaines spécialités et selon les territoires : une étude de 2006 dans le Val-de-Marne avait observé des taux de refus liés à l'ex-CMU de 44 % dans des cabinets de gynécologie, montant à 50 % de refus chez les psychiatres. De quoi détourner de nombreuses personnes des soins auxquels elles ont pourtant droit.

« Ce défaut d'accès aux soins peut toucher tous les domaines – ophtalmologie, soins dentaires, médecine générale… – mais le problème prend une autre dimension en infectiologie, explique Pierre Tattevin, car le retard de soins des maladies infectieuses s'accompagne souvent d'une augmentation du risque de transmission. Par exemple, une prise en charge tardive chez un patient atteint de tuberculose aura de graves conséquences pour cette personne, mais aussi pour son entourage qu'elle aura pu contaminer entretemps, et donc plus largement pour la propagation de l'épidémie dans toute la population. Un renoncement aux soins devient ainsi une question de santé publique. »

Récemment, la pandémie de Covid-19 a révélé à quel point une stratégie sanitaire ne pouvait être efficace que si elle impliquait l'ensemble de la population, sans exceptions. Mais il existe d'autres illustrations plus anciennes de ce principe. L'émergence de la tuberculose multi-résistantes en Europe de l'Est fait suite à la chute du bloc soviétique. « L'URSS disposait d'un système de santé collectif, remplacé après sa chute par des systèmes de santé privés qui ont exclu de fait les populations les plus pauvres. Celles justement les plus touchées par la tuberculose… Cela a provoqué une véritable catastrophe sanitaire avec beaucoup de décès, et les conséquences de cette perte d'accès aux soins sont encore nettes aujourd'hui » rappelle l'infectiologue Pierre Tattevin.

Outre les plus précaires, d'autres populations s'avèrent particulièrement cruciales dans une optique d'accès aux soins pour tous. « Le milieu carcéral par exemple est un lieu de transmission de plusieurs maladies infectieuses, notamment la tuberculose, qui se transmet comme le COVID-19 par voie aérienne. La réalisation d'examens et les soins dans ces lieux restent difficiles » décrit Nathalie De Castro. Pour cette infectiologue au Service des Maladies Infectieuses et Tropicales de l'Hôpital Saint-Louis (Paris), une autre population est particulièrement vulnérable et devrait concentrer toute l'attention des pouvoirs publics : les étrangers arrivant sur le sol français, par voie légale ou non. « De par leur pays d'origine et les conditions de leur voyage, ces personnes sont plus à risque de contracter des maladies infectieuses. La tuberculose est par exemple bien plus fréquente en Afrique Sub-Saharienne, en Asie et même en Europe de l'Est comme en Ukraine ; concernant le VIH, une partie des infections contractées en France concerne des personnes nées à l'étranger… »

En théorie, l'accès aux soins est garanti pour tous sans conditions, y compris pour les nouveaux arrivants, et permet « d'éviter la propagation d'une maladie à l'entourage ou à la communauté ». De plus, les étrangers en situation irrégulière peuvent bénéficier au bout de trois mois de présence en France de l'Aide Médicale d'État (AME). « À Paris, il faut compter au moins 9 mois de délai pour traiter les dossiers de demande, constate pourtant Nathalie De Castro. Depuis plusieurs années, il y a une volonté politique de limiter le recours à l'AME, avec des règles d'obtention plus drastiques et plus d'obstacles administratifs. » Selon l'ONG Médecins du Monde, 85 % des migrants accueillis dans leurs centres de soins et pouvant théoriquement demander l'AME n'ont aucun droit ouvert.

Alors, comment faire pour améliorer les choses et tendre vers l'objectif pourtant affiché d'un accès aux soins – vraiment – pour tous ? Pour Nathalie De Castro, « le nerf de la guerre, c'est l'argent. Il y a un travail à faire sur l'AME, sur la médecine de ville et les dépassements d'honoraires qui y sont pratiqués, mais il faut avant tout redonner à l'hôpital public les moyens de travailler dans des conditions acceptables pour répondre aux besoins de santé de la population. » L'hôpital public traverse en effet depuis plusieurs années une crise sans précédent, avec 80 000 lits supprimés ces 20 dernières années et un personnel soignant à bout de souffle, en sous-effectifs constants.

Pour Pierre Tattevin, cette détérioration des conditions de travail à l'hôpital a bel et bien un impact sur l'accès aux soins des populations les plus fragiles. « L'hôpital public a aussi pour rôle d'accueillir les patients qui ne peuvent aller ailleurs, par manque de revenus, parce qu'ils ne parlent pas bien le français… Pour cela, il faut pouvoir conserver une certaine souplesse, du temps. Avec cette course à l'amélioration et aux économies qui s'accélère à l'hôpital, on finit par perdre de vue cette priorité que doit rester l'accès aux soins pour tous. » L'infectiologue rennais rappelle pourtant que, même d'un point de vue purement financier, les calculs ne sont pas bons : en laissant de côté certaines parties de la population, la résurgence d'épidémies qui peut en résulter se traduit au final par des coûts humains et matériels bien supérieurs. « Les économies de bouts de chandelle à l'hôpital, ce n'est jamais une bonne idée, résume-t-il ainsi. On finit toujours par le payer plus tard. Au prix fort. »

Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF). Retrouvez plus d'articles sur le site https://www.infectiologie.com/fr/, onglet « Pour le grand public ».
Un grand merci aux docteurs Nathalie DE CASTRO et Pierre TATTEVIN pour leurs témoignages.
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