Gazette de l'infectiologie: Vaccination une nouvelle ère

Lundi 22 Avril 2024
Vaccination : une nouvelle ère

Voir le document au format pdf

Retour au sommaire de la Gazette de l'Infectiologie

Au-delà de ses conséquences dramatiques, le Covid-19 a donné un nouvel élan à la recherche en vaccinologie. La lutte contre ce virus a en effet propulsé sur le devant de la scène des technologies prometteuses, comme les vaccins à ARN messager. Elle a aussi montré que les protocoles de développement de nouveaux vaccins pouvaient être accélérés sans nuire à la sécurité des patients.

Bronchiolite, zona, dengue… Il y a rarement eu autant de nouveaux vaccins, c'est-à-dire de nouvelles préparations pharmaceutiques destinées, une fois administrées à des personnes, à stimuler leurs systèmes immunitaires de manière à ce que ceux-ci développent une immunité durable contre une maladie donnée. « Et c'est une excellente nouvelle !, insiste le Pr. Élisabeth Botelho-Nevers, chef du Service d'Infectiologie au CHU de Saint-Étienne. Il ne s'agit pas d'enrichir les laboratoires, mais de sauver des vies et d'éviter de lourdes conséquences et hospitalisations. Tout le monde n'a pas conscience du fardeau que représentent certaines infections comme la grippe ou le zona. Si elles ne conduisent pas tous ceux qui les contractent aux urgences, elles peuvent se manifester par des formes graves ou compliquées chez les plus fragiles (personnes âgées, porteurs de maladies chroniques…) ». Même chose avec le Covid-19 : si les vaccins contre ce virus ont été développés par des industriels privés, ils ont permis de sauver des millions de vies dans le monde. Sans eux, nous ne connaîtrions pas la sécurité dans laquelle nous vivons.

Des nouveaux vaccins pour des nouveaux besoins
Si la nécessité de lutter contre des virus émergents est évidente, les nouveaux vaccins ciblent aussi des pathogènes anciens contre lesquels il n'existait jusqu'ici pas ou peu de protection. C'est le cas notamment des deux vaccins récemment autorisés en Europe contre le virus respiratoire syncytial (VRS), responsable de la bronchiolite du nourrisson, ou encore de futurs vaccins, en essais cliniques de phase III, comme celui contre le cytomégalovirus (CMV). Ce dernier, s'il est contracté pendant la grossesse, peut engendrer des anomalies de développement chez le foetus ; il y a donc un réel enjeu à immuniser les femmes en âge de procréer contre lui.

Dans le cas de la tuberculose, la vaccination par le BCG (Bacille Calmette et Guérin) a déjà fait ses preuves. Mais s'il est efficace pour protéger les tout-petits, il l'est beaucoup moins chez les adultes. C'est pourquoi plusieurs autres vaccins sont actuellement à l'essai. De même, le vaccin contre le virus responsable du zona (VZV) donne de bons résultats mais, constitué de virus vivants atténués, il ne peut pas être administré aux personnes immunodéprimées. Ces dernières étant justement les plus à risque de souffrir de complications suite à cette maladie, un vaccin différent et utilisable chez ces personnes a été développé.

Enfin, concernant la dengue, cette infection virale est en train d'exploser partout dans le monde, notamment suite à la propagation inquiétante des moustiques, vecteurs de cette maladie. Cela a conduit à redoubler d'efforts pour mettre au point un vaccin plus efficace et utilisable chez les gens n'ayant jamais rencontré la dengue, contrairement au premier vaccin développé.
Ainsi, la recherche en vaccinologie vise à développer des vaccins pour protéger des maladies pour lesquelles il n'en existe pas encore, ou bien pour proposer des vaccins mieux adaptés et plus efficaces que ceux déjà existants.

Le Covid-19, un test grandeur nature pour les vaccins à ARN
Face à l'urgence sanitaire, des moyens financiers et humains importants ont été mobilisés et plusieurs blocages administratifs et réglementaires habituellement rencontrés par les chercheurs ont été levés afin d'accélérer le développement des nouveaux vaccins. À noter que pour ces derniers, qui étaient déjà en développement avant la pandémie, « les mesures exceptionnelles déployées n'ont pas réduit la rigueur des phases d'essais cliniques elles-mêmes, précise le Pr Odile Launay, infectiologue à l'hôpital Cochin, qui a coordonné le programme national de recherche clinique sur la vaccination contre le Covid-19. Mais elles ont montré qu'il était possible d'aller plus vite sans négliger la sécurité des patients, ce qui a relancé les réflexions sur la réactivité de nos protocoles de recherche face à l'émergence de nouveaux pathogènes. »

Les vaccins à ARN messager (ARNm) ont été les premiers bénéficiaires de ces aménagements. Si leur principe était maîtrisé depuis longtemps, avec des essais cliniques en cours contre plusieurs infections (la grippe, la rage, le chikungunya…), ils étaient malgré tout freinés dans leur parcours parce qu'ils reposaient sur une nouvelle technologie. Avec la pandémie, toutes les conditions étaient réunies pour qu'ils puissent montrer leur intérêt. « Par chance, le Covid-19 étant un cousin du SARS qui a sévit en 2003, nous connaissions déjà la protéine du virus contre laquelle diriger l'immunité, explique le Pr. Odile Launay. Dès qu'on a pu identifier le gène correspondant, il a été facile de produire un ARNm, c'est-à-dire une copie transitoire du gène qui, sans intégrer le génome du patient, donne toutes les informations aux cellules de son organisme pour fabriquer la protéine ciblée. Et comme c'est le corps qui synthétise lui-même le vaccin, on réduit le nombre d'étapes industrielles. »

La pandémie a par ailleurs été d'une telle ampleur que la constitution d'un large panel de volontaires pour recevoir les premières injections a été rapide. « Les essais cliniques, puis le suivi en vie réelle après autorisation de mise sur le marché ont démontré l'efficacité du vaccin à ARNm contre le Covid-19, sa bonne tolérance et son excellent profil de sécurité, indique le Pr. Launay. De quoi rassurer les autorités, et relancer le développement d'autres vaccins de ce type. Aujourd'hui, plusieurs sont en essais cliniques de phase III : contre le CMV, la dengue, la grippe, le VRS... » Des opportunités ont même été ouvertes dans d'autres spécialités, avec la mise au point par exemple de vaccins à ARNm thérapeutiques pour traiter des cancers actuellement incurables, comme ceux du pancréas ou certains mélanomes. Les premiers résultats de ces immunothérapies personnalisées sont prometteurs : en injectant de l'ARNm codant pour un marqueur de la tumeur du patient, on peut diriger spécifiquement son système immunitaire contre elle.

D'autres technologies ont aussi été révélées pendant la pandémie, à l'image des vaccins à vecteurs viraux, produits à partir de virus inoffensifs modifiés. Ils se sont montrés un peu moins efficaces, avec de rares effets indésirables potentiellement grave (thromboses,…), mais ont permis une réactivité inédite face au Covid-19, avec un premier vaccin quelques mois seulement après son apparition à une période où cette maladie tuait beaucoup de gens. Une réactivité qu'on avait déjà pu observer face à l'épidémie d'Ébola de 2023.

Une confiance dans les vaccins à retrouver
« Mettre au point des vaccins efficaces, c'est vital. Mais cela ne sert à rien si peu de gens y ont recours, prévient le Pr. Amandine Gagneux-Brunon, infectiologue au CHU de Saint-Étienne. C'est pourquoi nous travaillons aussi sur les questions d'acceptabilité. » Si la crise sanitaire a relancé l'intérêt pour les vaccins, elle a aussi mis à mal la confiance d'une partie de la population vis-à-vis de ces produits. En 2022, seuls 46,8 % des Français jugeaient les vaccins importants, sûrs, efficaces et compatibles avec leurs croyances. Plus inquiétant encore : un quart des professionnels de santé français ne les considérait pas comme sûrs (contre moins de 10 % en Europe). « Il y a un vrai travail à mener de ce côté-là, car les soignants sont les premiers recours des personnes en recherche d'informations, souligne le Pr. Gagneux-Brunon. Quand un médecin recommande sans hésiter un vaccin, ses patients l'acceptent généralement sans problème. C'est pourquoi nous avons créé le podcast “La vaccination pour les Pro'”, qui aide les praticiens à aborder la question en consultation ».

En parallèle, le fait que les campagnes de vaccination soient de plus en plus ciblées sur les publics à risque favorise l'acceptation des vaccins. En témoigne celui contre la coqueluche par exemple, recommandé pour les femmes enceintes afin qu'elles puissent transmettre des anticorps protecteurs à leur bébé : il ne fait pas l'objet d'un rejet massif ; bien au contraire.
Mais « Au-delà du problème de confiance, il y a aussi une question d'accessibilité à régler », ajoute le Pr. Gagneux-Brunon. On le voit bien avec le papillomavirus humain (HPV), responsable de cancers utérins, anaux et ORL. Cependant, seuls 47,8 % des filles et 12,8 % des garçons de 15 ans ont reçu au moins l'une des deux doses indiquées. Les autres ne sont pas forcément victimes des discours antivax : ils sont sans doute passé à côté des messages d'information. En effet, les adolescents étant en bonne santé, ils vont peu chez le médecin et, même quand ils entendent parler du HPV, ils ne voient pas l'urgence de se prémunir contre une maladie pouvant ne se déclencher que dans plusieurs décennies. Du côté de leurs parents, il est souvent trop tôt pour s'occuper d'un sujet lié à la future sexualité de leurs enfants. C'est pourtant quand il est administré à 11 ans, avant tout risque d'exposition, que le vaccin fournit la protection la plus durable. La vaccination en milieu scolaire, lancée à la rentrée 2023 pour les classes de 5e, avait ainsi pour objectif de mieux toucher ce public.

Deux autres mesures récentes devraient également favoriser les vaccinations, contre le HPV mais aussi contre les autres infections : la possibilité donnée aux pharmaciens et infirmiers d'administrer les doses, et la mise à disposition des vaccins dans les cabinets médicaux. « Si le médecin arrive à convaincre un patient de se faire vacciner mais que cela implique de reprendre rendez-vous, le risque est grand pour que cette personne oublie de le faire. Il faut qu'elle puisse le faire tout de suite, ou en bas de chez elle », note le Pr. Gagneux-Brunon.
Ainsi, une stratégie vaccinale ne peut avoir de l'impact qu'en agissant sur les trois tableaux : la recherche, l'éducation du public et l'accessibilité des vaccins.


Un grand merci aux professeurs Amandine Gagneux-Brunon, Elisabeth Botelho-Nevers et Odile LAUNAY pour leurs témoignages.

Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
Retrouvez plus d'articles sur le site /fr/, onglet « Pour le grand public ».
Retour à la liste