Gazette de l'infectiologie: Donald Trump : la santé mondiale en danger

Lundi 08 Septembre 2025
Donald Trump : la santé mondiale en danger

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Dès le début de son second mandat, le président américain a multiplié les décisions chocs concernant la santé et en particulier l'aide humanitaire. Des milliards de dollars gelés, des millions de patients impactés, des milliers de professionnels de santé licenciés… Un véritable séisme dont les secousses frapperont durement la santé mondiale sur le long terme.
Donald Trump n'aura pas perdu de temps. Le 20 janvier 2025, tout juste quelques heures après avoir prêté serment, lançant officiellement son second mandat, le président américain signe dans le bureau ovale de la maison blanche devant les caméras une série de décrets. Parmi eux, le retrait des États-Unis de l'Organisation Mondiale de la Santé (OMS). Si le pays, premier contributeur de cette agence de l'ONU dédiée à la santé, devra s'acquitter de l'argent promis pour 2025, à savoir plus de 100 millions de dollars de contribution obligatoire auxquels s'ajoute plus d'un milliard de dollars de contributions volontaires (soit près de 20 % du budget total de l'agence), cette participation essentielle devrait s'arrêter en janvier 2026.
Ce retrait historique ne sera que le premier pas en arrière de l'administration Trump en matière de santé internationale. Dans la foulée, le président américain annonce la suspension pendant 90 jours de toute l'aide étrangère, notamment les aides en matière de santé. L'équivalent de 63 milliards de dollars...
Le séisme humanitaire
Parmi les programmes concernés se trouvent notamment Pepfar, créé en 2003 pour lutter contre le VIH (le virus responsable du sida), à travers le monde. En deux décennies et 110 milliards de dollars investis, le programme aurait permis de sauver pas moins de 26 millions de vies. Mais c'est surtout l'Agence des États-Unis pour le développement international, USAID de son acronyme anglais, qui est alors dans le viseur du gouvernement américain. Un organisme né il y a plus d'un demi-siècle, représenté dans 120 pays, soutenant des milliers de programmes de lutte contre la pauvreté, de préservation de l'environnement et de lutte contre les maladies infectieuses (sida, tuberculose, paludisme…).
 Trois jours après l'investiture de Donald Trump, la BBC rapporte l'intrusion d'agents du DOGE, le département dirigé par Elon Musk chargé de couper dans les dépenses publiques, au sein des bureaux américains de l'USAID. Après avoir traqué dans les systèmes informatiques certains mots-clefs (genre, identité, climat…), les agents du DOGE commencent à couper les vivres à la quasi-totalité des programmes à l'étranger. Pendant ce temps, Elon Musk se réjouit sur son réseau social X de « passer l'USAID à la broyeuse à bois », la qualifiant d' « organisation criminelle » sur fond de théories complotistes, accusant l'agence d'avoir créé des armes biologiques comme le Covid-19. À la mi-mars, il ne reste plus qu'une quinzaine d'employés sur les 10 000 que comptaient l'USAID.
Les départements de santé américains sous pression
La chasse aux dépenses publiques, y compris essentielles pour la santé, ne concerne pas que l'aide étrangère. Sur le sol américain même, la nouvelle administration s'attaque également aux grandes institutions de santé. Toujours dans la foulée de l'investiture de Donald Trump, le Département de la Santé et des Services humains (HHS) annonce licencier 10 000 salariés à plein temps auxquels s'ajoutent 10 000 départs volontaires. Une véritable hécatombe dans plusieurs institutions de santé pourtant centrales : le National Institute of Health (NIH) qui structure et finance la recherche médicale perd ainsi 6 % de ses effectifs, la Food and Drug Administration (FDA) chargée de contrôler les médicaments voit partir 19 % de ses employés, contre 18 % pour l'équivalent américain de Santé publique France, l'incontournable Center for Disease Control (CDC). Ce dernier voit même ses bulletins d'informations, communiquant chaque semaine depuis 1930 les dernières données épidémiologiques, suspendus du jour au lendemain.
Les universités américaines ne sont pas plus épargnées, avec près de 4 milliards de dollars de coupes budgétaires annoncées dès février, suivies de menaces plus importantes encore auprès d'établissements supérieurs non alignés sur les positions trumpistes.
Une résistance fragile
Cette série de décisions aux lourdes conséquences sanitaires a provoqué une levée de boucliers dans le milieu scientifique et médical, notamment à travers le mouvement « Stand up for Science ». La bataille se joue aussi sur le plan judiciaire : plusieurs procureurs fédéraux portent des actions en justice pour rétablir certaines aides ou contester des coupes budgétaires. Concernant le programme historique de lutte contre le VIH Pepfar, c'est le congrès américain qui a pris la relève en lui attribuant des fonds – mais jusqu'à quand ?
Certaines procédures judiciaires ont par exemple permis la remise en ligne de pages d'information en santé publique qui avaient été supprimées par l'administration Trump. Sur le site du CDC par exemple, il est à nouveau possible d'avoir accès à des informations sur le VIH… mais avec la présence d'un bandeau jaune indiquant que « toute information sur cette page faisant la promotion de l'idéologie de genre est extrêmement inexacte et en contradiction avec la réalité biologique immuable ».
Côté USAID, malgré une décision de la Cour suprême début mars contraignant le président à relancer le programme d'aide internationale, celui-ci a officiellement fermé ses portes le 1er juillet 2025.
« C'est la technique Trump : faire une série d'annonces pour saturer l'espace médiatique, tout en sachant que certaines seront retoquées par la suite, mais qu'importe, analyse François Bourdillon, qui fut directeur général de Santé publique France de 2016 à 2019. C'est une façon de mettre la pression, de désorganiser ces institutions par la peur et l'incertitude avec des effets d'annonce. Il y a également une portée symbolique, pour mettre en avant une certaine idéologie, comme avec la nomination de RFK. »
RFK, le sulfureux
Ces trois lettres désignent Robert Francis Kennedy Jr., le ministre de la santé choisi par Donald Trump. Une décision pour le moins symbolique pour un tel poste, vu les prises de position du personnage : complotiste assumé tant sur le Covid-19 que les chemtrails, mais surtout antivax de longue date, ayant présidé pendant des années une des plus puissantes organisations anti-vaccination du pays.
En réalité, la nomination de RFK dépasse le simple symbole, avec des conséquences concrètes déjà visibles. L'ancien avocat a ainsi destitué les 17 membres du Comité consultatif sur les pratiques de vaccination (ACIP) pour les remplacer par des profils douteux, flirtant avec le mouvement antivax. Ce nouveau comité a par ailleurs débuté sa prise de poste par la diffusion d'une étude inventée de toutes pièces. Une technique qui semble bien rôdée pour RFK, qui avait déjà en mai dernier publié un important rapport de santé publique truffé d'études fictives et de citations tronquées ou falsifiées. Enfin, RFK a retiré en juin dernier les financements américains à GAVI, le plus important organisme en charge de la vaccination dans le monde.
Des chercheurs et ONG sous le choc
La série de décrets et déclarations de Donald Trump qui a suivi son investiture a créé une véritable onde de choc sur le terrain humanitaire et médical. L'infectiologue et chercheuse en épidémiologie santé publique Émilie Mosnier, aujourd'hui au CHU de La Réunion, était fin janvier au Cambodge en tant qu'Experte Technique Internationale (ETI), coordonnant des programmes de santé publique dans le pays. « Sur place, personne ne s'attendait à des décisions aussi brutales, ça a été extrêmement déstabilisant. Du jour au lendemain, des gens du NIH, de l'USAID ou encore des agents américains de l'OMS ne pouvaient plus faire leur travail, certains n'avaient même plus accès à leur adresse mail professionnelle. »
Le 26 février 2025, partout à travers le monde, des milliers d'acteurs clefs de la santé et de l'humanitaire ont reçu le même courrier laconique : « Cher partenaire, ce financement est résilié pour des raisons de commodité et dans l'intérêt du gouvernement américain (…). Cessez immédiatement toutes vos activités. » De quoi bouleverser le modèle de santé publique de pays entiers. « Le Cambodge par exemple est très dépendant de l'aide internationale, et en particulier des États-Unis. Même le ministère de la santé était financé en partie par le NIH et le CDC, rapporte Émilie Mosnier. La lutte contre le VIH était efficace dans le pays, mais le gouvernement cambodgien n'y prenait part qu'à hauteur de 20 % ».
Ainsi, de nombreux pays ont brusquement dû faire face à l'arrêt total de projets de santé publique, et des ONG de toutes tailles ont vu leur modèle exploser. Handicap International par exemple s'est retrouvé informé du jour au lendemain du gel de 36 millions d'euros de subventions américaines, devant licencier un dixième de son personnel et stopper bon nombre de programmes pourtant vitaux. Au Kenya, les 300 000 réfugiés du camp de Kakuma ont vu leur ration alimentaire fortement diminuer. En Somalie, des patients faisant face à la fermeture de centres de santé ont parcouru près de 200 kilomètres pour être soignés. En Afghanistan, plus de 10 % de la population pourrait être privée de soins en 2025 à cause du retrait américain.
Effet domino
Même les ONG ne dépendant pas directement de l'aide américaine ont été touchées de plein fouet par l'onde de choc. C'est le cas de Médecins Sans Frontières (MSF), dont plus de 95 % des financements proviennent de dons privés. « Nous sommes indépendants, mais nous agissons dans des écosystèmes plus larges fortement liés à l'aide américaine, rappelle l'infectiologue Bastien Mollo, qui travaille pour l'ONG française depuis 2019. Lorsqu'on fait une campagne de vaccination ou lorsqu'on donne des soins, les produits utilisés sont parfois fournis par d'autres organismes. Et surtout, nous travaillons sur le terrain main dans la main avec des ONG qui ont été durement touchées, avec une surcharge de besoins que nous devons maintenant prendre en charge. » L'infectiologue de MSF prend ainsi comme exemple concret le cas d'Haïti, pays traversé par une effroyable crise humanitaire, où les ONG qui fournissaient l'eau aux hôpitaux et camps de fortune ont perdu leur financement. Une tâche essentielle que MSF a dû reprendre à son compte pour continuer à remplir ses missions locales.
« Au Cambodge, il a fallu prioriser l'aide, réorienter les fonds de manière à limiter au maximum le nombre de morts, se désole Émilie Mosnier. Sur le VIH par exemple, tout a été fait pour que les patients sous antirétroviraux continuent de recevoir leur traitement, mais cela n'a pu se faire qu'en mettant en pause des campagnes de prévention et de dépistage, ce qui aura des conséquences catastrophiques à l'avenir. Même d'un pur point de vue capitaliste, c'est contreproductif, tout cela aura un coût financier bien supérieur sur le long terme. »
Un coût humain déjà mesurable
Plusieurs études se sont penchées sur les conséquences concrètes du gel des financements américains à l'étranger. Les incertitudes sur le sort de Pepfar notamment alimentent les craintes autour de l'épidémie de VIH dans le monde. « Des patients font déjà face à un arrêt des soins, avec un impact direct sur la mortalité, observe Bastien Mollo, de MSF. Il y a un vrai risque d'effet rebond, alors que l'épidémie était plutôt en cours de contrôle. »
Fin 2024, une étude américaine anticipait déjà les risques d'un arrêt partiel ou total du programme Pepfar en Afrique du Sud, un des pays les plus durement touchés par le VIH. Ses conclusions : une réduction de moitié du programme entraînerait sous dix ans 20 % de mortalité supplémentaire, jusqu'à 38 % si Pepfar était définitivement arrêté. En avril 2025, une autre étude a simulé une pause de trois mois du programme américain dans plusieurs pays africains. En Côte d'Ivoire par exemple, dépendant à 60 % des fonds américains, cette simple pause entraînerait 11 000 nouvelles infections et 5 000 décès supplémentaires.
Le magazine The Lancet HIV publiait fin mars une étude portant sur 26 pays, évaluant les risques associés aux coupes budgétaires sur le front de lutte contre le VIH. Résultats : jusqu'à 10 millions de nouvelles infections et près de 3 millions de décès d'ici 2030, selon le scénario le plus pessimiste.
Enfin, les conséquences de l'arrêt brutal de l'USAID ont elles aussi été modélisées par des chercheurs internationaux. Selon les données récoltées dans 133 pays, l'USAID aurait permis de sauver 91 millions de vies en 20 ans. Son arrêt entraînerait directement 14 millions de décès dans les cinq ans à venir, dont un tiers d'enfants. Hasard tristement ironique, cette étude est parue le 30 juin 2025… soit la veille de l'annonce officielle de l'arrêt de l'USAID.
Sombre futur
Même si de nombreux observateurs comptent les années jusqu'à la fin du second mandat de Donald Trump, en 2029, espérant qu'un renouvellement politique permettra un retour en arrière salvateur, le pessimisme reste de rigueur. « Casser les institutions, geler les aides, tout cela n'a pris que quelques jours. Mais reconstruire est infiniment plus long, cela prendra des années, voire des décennies pour remettre en place ce qui a été détruit, soupire François Bourdillon. Tout cela a une portée plus grande encore sur le monde médical, la confiance du grand public dans les institutions et l'expertise en général. Nous entrons dans une période de récession scientifique, qui est loin de concerner uniquement les États-Unis ».
L'ex-directeur de Santé publique France souligne l'influence toujours plus grande du monde industriel et économique sur les décisions politiques en matière de santé publique. Aux États-Unis, mais aussi en France, en citant les exemples récents de la loi Duplomb réautorisant un pesticide dangereux, les liens troubles entre Nestlé et le gouvernement dans le scandale des eaux en bouteilles, ou encore l'influence considérable du lobby de l'alcool sur les politiques publiques. « Il faut remettre la science et l'expertise au centre du débat public, rappeler le besoin de transparence et mettre en lumière le poids des grandes industries sur notre santé, martèle François Bourdillon. Ce qui se passe aux États-Unis n'est que la partie la plus visible du problème. »
Un constat partagé par le monde humanitaire, qui alerte sur les baisses de financements aux États-Unis, mais aussi dans de nombreux pays européens : Allemagne, Royaume-Uni, Pays-Bas, Suède, Belgique… Tous ont revu à la baisse leurs aides au développement à l'étranger, malgré le trou béant laissé par les retraits américains. En France, l'enveloppe de l'aide publique au développement est passée d'environ 6 milliards d'euros en 2024 à 4 milliards d'euros en 2025.
« Les décisions américaines ont été brutales, assumées, mais le fond n'est pas si différent de ce qui se passe aujourd'hui en France et en Europe, estime l'infectiologue Bastien Mollo. Le discours n'est pas le même, mais il s'inscrit dans la même tendance de fond. Cela pose des questions sur l'évolution de l'empathie dans les pays occidentaux et le respect du droit international humanitaire ».


Un grand merci aux docteurs Bastien MOLLO et Émilie MOSNIER,
ainsi qu'au professeur François BOURDILLON pour leurs témoignages.


Ce reportage vous a été proposé par la Société
de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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onglet « Pour le grand public ».

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