circuit d’un article scientifique

De la rédaction à la publication : parcours d'un article scientifique

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Plusieurs mois s'écoulent généralement entre l'obtention d'un résultat scientifique et son annonce officielle. Un délai dû au relativement long processus de validation qui permet de juger la qualité du travail mené, aboutissant à la parution d'un article dans une revue scientifique. Un parcours complexe fait de multiples aller-retours entre chercheurs, éditeurs et relecteurs.

Dans la vie d'un chercheur, faire une découverte scientifique ne constitue en réalité que la première étape d'un long processus avant que celle-ci ne soit officialisée et reconnue par la communauté scientifique. Pour cela, ladite découverte se doit d'être publiée dans une revue scientifique, censée garantir le sérieux et la fiabilité des résultats présentés.

Première étape de ce parcours aussi long que rigoureux : le choix d'une revue scientifique. Il en existe quelques 35 000 d'un rang international, essentiellement en anglais, la langue scientifique de référence. Certaines restent généralistes (Science ou Nature pour citer les plus connues), mais la plupart se concentrent sur un domaine bien précis (astronomie, biologie végétale, médecine…), voire le plus souvent se sur-spécialisent (cardiologie pédiatrique, prévention du cancer ou encore ostéoporose).

Le choix d'une revue pour y publier ses travaux dépendra donc du domaine concerné, mais aussi de la notoriété des différents journaux dans ce domaine. Les plus prestigieux ne publieront que les résultats jugés majeurs, faisant considérablement avancer les connaissances dans leur spécialité, quand les revues moins réputées auront des critères de choix moins drastiques.

« Il faut réussir à prendre du recul sur la qualité de son travail, pour juger objectivement si sa portée justifie de proposer l'article à une revue réputée », décrit le microbiologiste à l'Université de Fribourg (Suisse) Laurent Poirel, auteur particulièrement prolifique de quelque 600 publications scientifiques. « Les jeunes chercheurs ont souvent tendance à surestimer l'intérêt de leurs travaux, une analyse plus objective venant avec l'expérience ». Viser trop haut parmi les revues les plus réputées et c'est un refus de publication, poussant les auteurs à démarcher une nouvelle revue moins prestigieuse… au prix de plusieurs semaines de perdues.

Une fois une revue ciblée, les chercheurs doivent rédiger leur article en suivant les consignes d'écriture et de présentation fixées par ladite revue. La plupart suivent cependant la même trame globale : un résumé (abstract en anglais) de l'article, une introduction rappelant l'état des connaissances actuelles sur le sujet, le protocole utilisé dans le cadre de l'étude, les résultats à proprement parler, et enfin une partie de discussion remettant ces résultats en perspective. Au-delà de cette structure globale, chaque revue a en plus ses propres normes en termes de taille de l'article, de présentation, de nombre de figures…

« C'est la première étape de mon travail : vérifier que la forme répond à nos critères de publication, commence Anna Faroux, responsable d'édition de la revue Infectious Diseases Now, publiée par la SPILF. On trouve quasiment toujours quelque chose qui ne va pas, par exemple des références incomplètes ou mal présentées. Il y a donc un voire plusieurs aller-retours avec les auteurs avant que je ne puisse transmettre l'article au rédacteur en chef de la revue. »

Ce dernier va pour sa part se concentrer sur le fond de l'article, l'aspect scientifique à proprement parler, afin de confier à ses éditeurs associés – d'autres spécialistes du domaine travaillant pour la revue – les articles les plus intéressants. Ceux-ci auront alors une tâche cruciale dans le processus de validation : trouver des spécialistes capables de juger la qualité de l'article, connaissant donc parfaitement le sujet en question.

« On contacte généralement 4 à 5 spécialistes dans un premier temps, pour espérer avoir au moins deux réponses positives au final », raconte Laurent Poirel, également rédacteur en chef d'une importante revue de microbiologie (European Journal of Clinical Microbiology and Infectious Diseases) et membre du comité éditorial de deux autres journaux faisant référence dans le domaine. « Cela permet d'avoir plusieurs points de vue. Et d'ailleurs, quand ceux-ci sont divergents, on essaye généralement d'avoir un troisième spécialiste pour nous aider à trancher ».

Cette « relecture par les pairs » (peer reviewing en anglais) est l'une des pierres angulaires de la science moderne, spécificité censée garantir la validité des résultats présentés. Si elle n'est pas infaillible, cette méthode reste aujourd'hui la meilleure option pour assurer une bonne qualité globale des publications scientifiques. Problème, « il devient de plus en plus difficile de trouver des spécialistes qui acceptent de relire les articles », s'inquiète le professeur émérite d'infectiologie à l'Université de Grenoble Jean-Paul Stahl, également rédacteur en chef de la revue Infectious Diseases Now. « Avec la SPILF notamment, nous essayons de valoriser un maximum le travail de relecture, qui devrait avoir plus de poids dans les concours et l'avancement des carrières. »

L'activité de relecture est en effet, dans l'immense majorité des cas, un travail entièrement bénévole. Pour ceux qui l'acceptent, l'intérêt réside donc ailleurs. « Je trouve l'exercice particulièrement intéressant. Sans fausse modestie, je pense que mon avis peut être pertinent pour améliorer le travail d'autres chercheurs. Et puis, cela permet de rester en permanence à la pointe du domaine, en découvrant les dernières avancées avant tout le monde » explique Laurent Poirel, reviewer pour de nombreuses revues, tout en dressant le même constat que Jean-Paul Stahl sur la difficulté de trouver des relecteurs disponibles. « Il y a toujours plus de revues, toujours plus d'articles scientifiques à travers le monde, constate-t-il. Aujourd'hui, je suis constamment sollicité, je dois régulièrement décliner les demandes par manque de temps ».

Il faut dire que l'exercice est chronophage : chaque relecteur doit lire dans le détail l'intégralité de l'article pour y relever les erreurs potentielles, les failles dans le protocole, proposer des reformulations ou demander des éclaircissements. « Il y a ainsi plusieurs aller-retours entre les auteurs de l'article et les relecteurs, les premiers retouchant leur texte pour répondre aux demandes des seconds. Et pour notre revue, tout cela en double aveugle : les auteurs ne savent pas qui se cache derrière la relecture, et les relecteurs ne connaissent pas le nom des auteurs », détaille Anna Faroux, qui fait le lien entre ces différents acteurs pour Infectious Diseases Now.

Dans le cas de cette revue, il faut compter plus d'un mois pour boucler cette étape de relecture par les pairs, avant que le rédacteur en chef ne prenne sa décision finale de publier ou non l'article révisé. Et près de trois mois s'écoulent généralement entre le premier envoi à la revue et la parution en elle-même. Des chiffres similaires d'un journal à un autre.

Ces délais particulièrement longs sont notamment devenus problématiques en plein coeur de la crise sanitaire, quand les chercheurs travaillant sur les symptômes du Covid-19 ou les vaccins-candidats devaient communiquer rapidement leurs résultats au reste de la communauté scientifique internationale. « Pendant cette période nous avons essayé de faire passer en priorité les articles traitant du Covid-19 et d'accélérer au maximum tout le processus, relate Jean-Paul Stahl. C'est aussi à ce moment que nous avons vu apparaître de plus en plus de pre-prints : des articles en cours de publication, dont le processus de relecture est encore en cours. Cela permet d'annoncer des résultats sans devoir attendre plusieurs semaines, par contre, sans validation par les pairs, on peut dire tout et n'importe quoi ».
Autre tendance lourde du monde de l'édition scientifique, qui prend cette fois ses racines bien avant la crise sanitaire : l'open access, ou accès libre. Au lieu de faire payer la consultation des articles, certaines revues les mettent gratuitement à disposition, mais font par contre payer la publication aux auteurs. En France, plus de la moitié des articles passent désormais par cette voie, avec un objectif d'atteindre 100 % d'accès libre en 2030.

« Mais ce modèle a aussi un effet pervers très concret : dans certaines revues en accès libre, il suffit de payer pour être publié, le peer reviewing y est parfois complaisant, voire inexistant » critique Jean-Paul Stahl. Un constat également partagé par Laurent Poirel, qui estime que « les journaux en open access sont souvent de moins bonne qualité, avec des exigences éditoriales bien en deçà. »
Des dérives inquiétantes, à l'instar de l'explosion des revues dites « prédatrices » qui traquent les chercheurs inexpérimentés avec des parutions hors-de-prix malgré une absence de relecture sérieuse. Or, comme le rappelle Laurent Poirel, le système de publication d'articles scientifiques de qualité, relus et validés par des pairs constitue aujourd'hui le premier critère pour juger un chercheur. « Le nombre d'articles et la renommée des revues qui les publient sont des éléments fondamentaux dans une carrière. C'est aujourd'hui la seule véritable mesure qui permet d'évaluer la qualité et le poids d'un spécialiste. » Raison de plus pour veiller à ce que le monde de l'édition scientifique garde la même exigence de qualité, base fondamentale de la science moderne.

Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
Retrouvez plus d'articles sur le site /fr/, onglet « Pour le grand public ».

Un grand merci aux docteurs Jean-Paul STAHL et Laurent POIREL ainsi qu'à Anna FAROUX pour leurs témoignages.