L’infectiologie à l’heure du digital

L'infectiologie à l'heure du digital

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Entre l'essor de la télémédecine et les outils de suivis de l'épidémie, la crise sanitaire du COVID-19 a souligné tout l'intérêt du numérique dans le domaine de l'infectiologie. La discipline doit aujourd'hui adapter ce virage digital à ses spécificités, tout en aidant les infectiologues à s'emparer de ces nouveaux outils.
Comme tous les autres pans de notre société, la médecine avance au rythme de la révolution numérique. Qu'on l'appelle e-santé, médecine digitale ou santé numérique, ses contours restent flous. Ils englobent bien sûr la télémédecine (téléconsultation, téléexpertise…), mais aussi toutes les facettes associant de près ou de loin la santé, les données de santé, et les outils numériques : reconnaissance d'images médicales par intelligence artificielle, Dossier Médical Partagé, objets médicaux connectés, etc. Un marché qui devrait peser 100 milliards de dollars d'ici 2026.
« L'infectiologie est un domaine particulièrement concerné par l'essor du numérique, avec de nombreuses spécificités », estime Jeanne Goupil, infectiologue dans le Service de Maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Avicenne, à Bobigny. « C'est une discipline transversale, qui jongle avec des données très diverses qui peuvent venir de la microbiologie comme de la radiologie, avec une nécessité pour les outils numériques de faire le pont entre tous ces domaines. »
De plus, l'infectiologie va souvent de pair avec l'épidémiologie, discipline qui étudie une maladie à l'échelle d'une population et utilise pour cela de plus en plus d'outils numériques. Au-delà du boom de la téléconsultation qu'elle a engendré, la crise sanitaire liée au Covid-19 a montré tout l'intérêt du digital pour la détection et le suivi d'une épidémie, qu'il s'agisse d'applications de « contact-tracing » comme TousAntiCovid ou d'outils pour le suivi des populations. « Nous voyons également apparaître un nouveau champ de recherche : l'infodémiologie. Définie par l'OMS comme étant la science de la gestion des infodémies, elle nous permet notamment d'étudier l'évolution d'une épidémie en fonction des recherches effectuées par les internautes », souligne Jeanne Goupil.
Un nouveau groupe pour l'infectiologie digitale
Si l'infectiologie doit aujourd'hui se repenser à l'heure du numérique, elle manquait jusqu'ici de cadre pour fédérer toute la profession autour de la révolution digitale. « Il faut que des personnes puissent être identifiées comme référents dans ce domaine en pleine effervescence, afin d'accompagner les infectiologues dans cette mutation, » résume Aurélien Dinh, infectiologue dans le Service des maladies infectieuses et tropicales de l'hôpital Raymond-Poincaré, à Garches. Depuis 2023, il fait partie des coordinateurs du groupe de travail Infectiologie Digitale de la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF), créé justement pour tenir ce rôle de référent.
« L'idée de ce groupe de travail est de centraliser toutes les actions autour du numérique en infectiologie. Nous avons un rôle de veille sur le sujet, d'information et d'accompagnement via des webinaires, des séminaires, de l'enseignement… » liste Aurélien Dinh. « Nous constituons également un point de jonction et d'échange entre les infectiologues, qui ne maîtrisent pas forcément tous les outils numériques, et les développeurs, qui n'ont pas connaissance des enjeux autour de notre discipline. »
Des outils adaptés
Les premiers mois de ce jeune groupe de travail ont abouti à l'élaboration d'un « livre blanc », dont la parution est prévue pour 2024, définissant la feuille de route et les grands enjeux de l'infectiologie digitale. Dans le même temps, de premiers projets ont déjà pu être accompagnés, à l'instar du projet ERIOS lancé par le CHU et l'Université de Montpellier. Son but : intégrer plus concrètement les usagers dans le développement de solutions numériques.
« Nous souhaitons aider à la conception d'outils spécifiques, mais aussi à leur évaluation » ajoute Jeanne Goupil, elle-aussi coordinatrice du groupe de travail de la SPILF. « L'infectiologie a comme particularité de travailler sur des maladies étroitement liées à une certaine précarité sociale, avec des patients parfois en difficulté avec le numérique, la langue française ou même la lecture. Il est donc primordial de développer des outils adaptés à l'illettrisme ou l'illectronisme, soit l'incapacité à utiliser les outils informatiques qui concerne tout de même 15 % de la population en France. »
Explorer les données de santé
Un autre grand chantier de ce groupe de travail Infectiologie Digitale tourne autour d'un domaine en plein essor et pourtant méconnu du grand public : les bases de données de santé. « Toute pratique de soin s'accompagne de la production d'une donnée de santé : une prescription, un dosage sanguin, une donnée clinique… » énumère Salam Abbara, infectiologue spécialisée dans l'utilisation de ces données de santé, et co-coordinatrice du groupe de travail. Car si ces dernières sont initialement émises dans une logique de soin, leur compilation en gigantesques bases de données permet également un travail de recherche inédit.
« En étudiant par exemple le phénomène de résistance aux antibiotiques dans les données de l'Assurance Maladie, on peut évaluer le poids de cette antibiorésistance dans la population française, voire plus finement à l'échelle d'un territoire. », décrit Salam Abbara. « Il est possible d'observer encore plus précisément le phénomène à l'échelle d'un hôpital grâce aux données des entrepôts de données de santé hospitaliers, afin d'observer les facteurs de risque de résistance, les services les plus concernés, les phénomènes de micro-épidémies, etc. Cela permet d'aider à choisir le bon antibiotique en fonction du lieu de soin d'un patient ».
Un travail de recherche des plus utiles, mais particulièrement complexe à mener. Il y a évidemment des procédures réglementaires pour limiter l'accès à ces données sensibles et garantir la confidentialité des patients, mais les chercheurs se heurtent également à la profusion de bases de données de santé et à leur qualité hétérogène. « Il est très intéressant de pouvoir mettre en lien plusieurs bases de données, en particulier dans le domaine de l'infectiologie qui se trouve à la jonction de plusieurs disciplines, par exemple pour l'étude des maladies transmissibles » reprend Salam Abbara. « L'un des grands enjeux aujourd'hui consiste à optimiser la structuration et mise en qualité informatique d'une donnée de santé pour qu'elle soit par la suite utilisable comme objet de recherche, et comparable d'une base à l'autre. Cela passe par un travail de communication et d'information auprès des personnels de santé, pour qu'ils aient conscience de ces enjeux, et par la formation des soignants au numérique, et des acteurs du numérique à la santé. »
Un travail que cette spécialiste effectue désormais au sein du groupe de travail de la SPILF, s'intéressant aussi à la question de l'intelligence artificielle. Si cette dernière est aujourd'hui surtout utilisée dans l'analyse d'images médicales, elle pourrait bientôt s'intégrer à tous les niveaux, en infectiologie comme ailleurs. Jusqu'à remplacer l'humain ? Évidemment non, tient à rassurer Jeanne Goupil. « C'est aussi le rôle de notre groupe de travail de répondre à ces inquiétudes légitimes. Notre objectif n'est pas d'aller vers du tout numérique, mais de développer des solutions pour combler des vides existants et appuyer le soin. L'humain restera toujours au coeur de notre métier. »

Un grand merci aux docteurs Jeanne GOUPIL et Salam ABBARA ainsi qu'au professeur Aurélien DINH pour leurs témoignages.


Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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