Maladies infectieuses et changement climatique

Les maladies infectieuses à l'heure du changement climatique

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En modifiant les températures ou en favorisant les événements climatiques extrêmes, le dérèglement climatique change le comportement et la répartition de certains vecteurs porteurs de pathogènes potentiellement dangereux pour l'Homme.
Canicules, élévation du niveau de la mer, sécheresses, multiplication des cyclones… Les conséquences concrètes du dérèglement climatique que nous vivons deviennent année après année de plus en plus visibles. L'organisme scientifique chargé d'évaluer l'ampleur et les impacts du changement climatique, le Groupe d'experts Intergouvernemental sur l'Évolution du Climat (GIEC), ajoute à cette longue liste certaines maladies infectieuses : « D'après les projections, les risques associés à certaines maladies à transmission vectorielle telles que le paludisme ou la dengue devraient s'accroître », pointant notamment du doigt une modification de l'aire géographique de ces maladies.
Les « maladies à transmission vectorielle » désignent les maladies causées par des pathogènes – virus, bactéries ou parasites – véhiculés par un animal, généralement un insecte ou un acarien. Elles représentent plus du quart des maladies infectieuses chez l'être humain, causant plus de 2,5 millions de morts chaque année dans le monde. Or les vecteurs qui les véhiculent, et en premier lieu les moustiques, s'avèrent particulièrement sensibles aux conditions climatiques. « Quand la température augmente, les moustiques se développent plus vite et les pathogènes qu'ils transportent également, résume l'entomologiste Frédéric Simard, qui dirige à Montpellier l'unité mixte MIGEVEC qui étudie ces maladies à vecteurs. Cela multiplie les risques, avec des vecteurs plus nombreux, qui vivent plus longtemps, et des pathogènes qui se transmettent plus rapidement. »
Chaque espèce de moustique est associée à une température optimale au-dessus et en-dessous de laquelle le risque de transmission diminue. « Dans le cas du paludisme par exemple, de nombreuses zones d'altitude ou latitude élevées risquent de devenir plus propices à sa transmission, et au contraire d'autres régions comme le Sahel verront probablement la maladie reculer avec l'augmentation des températures », avance Frédéric Simard. Selon une étude parue en début d'année, la limite Sud de distribution des moustiques vecteurs du paludisme en Afrique aurait ainsi progressé de 4,7 kilomètres par an entre 1898 et 2016.  L'entomologiste montpelliérain reste toutefois prudent sur les prédictions à long terme. « Le changement climatique est un phénomène global qui a des conséquences locales très diverses, et les vecteurs et pathogènes parviennent à s'y adapter. De plus, bien d'autres facteurs extérieurs au climat entrent en jeu, si bien qu'il est très complexe de faire des projections. »
Une prudence partagée par tous les spécialistes du sujet, à l'instar de l'épidémiologiste Harold Noël : « il y a un lien direct entre climat et vecteurs, mais le changement climatique n'agit jamais seul ». Ce spécialiste des maladies infectieuses à Santé Publique France surveille de près l'évolution de ces pathologies, notamment en France. Si les territoires ultra-marins font logiquement face à de nombreuses maladies infectieuses tropicales, la France métropolitaine n'est pas non plus épargnée. « La dengue par exemple est un véritable marqueur du changement climatique dans l'hexagone, la hausse des températures favorisant l'implantation du moustique tigre et sa longévité. Nous avons observé un premier cas de transmission autochtone sur le territoire dès 2010 : un patient n'ayant pas quitté l'hexagone a présenté une dengue. Depuis la tendance se confirme, avec l'année dernière une nette accélération : 9 foyers de dengue et 66 cas autochtones. »
Pour le Dr Noël, les mécanismes à l'oeuvre derrière cette progression de la dengue en France métropolitaine sont applicables aux autres arbovirus (une famille de virus responsables de la dengue donc, mais qui comprend aussi ceux du Chikungunya, de Zika ou du West Nile), même si les conséquences sont actuellement moindres que pour la dengue. « L'aire de répartition des arbovirus va continuer de s'étendre en Europe. À l'horizon 2050-2080, nous nous attendons à des épidémies importantes sous nos latitudes ». Depuis 2010, le nombre de départements français colonisés par le moustique tigre a été multiplié par dix. Pour l'heure, les cas annuels de Chikungunya en France métropolitaine restent bien en-deçà des cas de dengue, et le retour du West Nile en Europe (notamment en Grèce et en Italie dans les années 2010) n'a atteint que récemment l'hexagone.
À noter tout de même que le dérèglement climatique et la hausse des températures sont loin d'être les seuls responsables de la propagation de ces moustiques en Europe. Le Centre National d'Expertise sur les Vecteurs estime ainsi dans un rapport paru en 2016 que l'impact du changement climatique sur les maladies à vecteurs « reste toutefois difficile à mesurer. Cela ne réside pas uniquement dans le manque de données disponibles, mais surtout dans le fait que de nombreux facteurs épidémiologiques, écologiques et socio‐économiques régissent également la dynamique de transmission. » Parmi ces autres facteurs se trouvent par exemple les changements démographiques, la mondialisation des transports ou encore les pratiques agricoles.
Mais les moustiques ne sont pas les seuls à profiter de la hausse des températures : les tiques, vecteurs notamment de la maladie de Lyme, prolifèrent de plus en plus en Europe et en Amérique du Nord. « L'encéphalite à tiques, une maladie virale généralement asymptomatique mais qui provoque dans 10 % des cas des atteintes neurologiques parfois très graves, est probablement la maladie à vecteur la plus en expansion en France aujourd'hui », affirme Jean-Paul Stahl, professeur émérite d'infectiologie à l'Université de Grenoble. « Le changement climatique n'est pas la cause unique de cette expansion, mais il y contribue en modifiant la température, l'hygrométrie, les types de végétation… » Au Canada, les nouveaux standards climatiques favorisent la survie des tiques et allongent leur période d'activité. Sans compter qu'avec une belle saison plus longue, les humains ont tendance à passer plus de temps dans la nature, favorisant les contacts avec des tiques infectées.
« Le changement climatique est un processus extrêmement complexe, qui ne se résume pas à une simple hausse des températures », rappelle Harold Noël. « Les sécheresses qu'il provoque, ou au contraire les inondations, l'augmentation de la fréquence des tempêtes, tout cela peut aussi participer plus ou moins directement à l'expansion d'une maladie, y compris dont la transmission n'est pas liée à un vecteur. » Le cyclone Freddy qui a durement frappé le Mozambique en début d'année a ainsi, en perturbant la qualité et l'approvisionnement en eau potable, entraîné une grave épidémie de choléra. Au Pakistan, les inondations hors-norme de 2022 ont fait bondir les cas de paludisme, notamment à cause des mares d'eau stagnante offrant un gite de choix pour les moustiques. Or, ces événements météorologiques extrêmes voient leur fréquence et leur intensité augmenter avec le dérèglement climatique.
Enfin, ce dernier semble également influer sur la puissance d'El Niño, un phénomène climatique massif survenant certaines années seulement… et entraînant lui aussi de graves épidémies dans son sillage. « L'énorme épidémie de dengue que connaît actuellement le Pérou semble particulièrement liée au phénomène El Niño », reprend l'épidémiologiste Harold Noël. « En Australie, des chercheurs ont réussi à montrer comment El Niño provoquait toute une cascade d'événements – des sécheresses, perturbant le comportement alimentaire de chauve-souris, poussant celles-ci vers les zones habitées – conduisant à la dispersion de virus particulièrement dangereux pour l'Homme ».
Il est rare de pouvoir tracer de manière aussi fine et claire un lien de causalité entre une épidémie et un événement climatique ponctuel ou au changement climatique global. Seule une chose est certaine : ce dérèglement causé par les activités humaines ne bouleverse pas seulement la biodiversité et l'équilibre climatique de notre planète, mais aussi l'épidémiologie des maladies infectieuses.



Ce reportage vous a été proposé par la Société de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
Retrouvez plus d'articles sur le site /fr/, onglet « Pour le grand public ».
Un grand merci aux docteurs Harold NOËL, Frédéric SIMARD et au professeur Jean-Paul STAHL pour leurs témoignages.