Cyclisme : éviter la « Grande boucle » des infections

Cyclisme : éviter la « Grande boucle » des infections

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À l'occasion de la 112e édition du Tour de France qui débutera le 5 juillet 2025, la « Gazette de l'infectiologie » se penche sur les questions infectieuses liées au cyclisme. Ou comment pédaler l'esprit tranquille en prenant garde aux lésions périnéales, infections liées aux chutes, atteintes ORL et baisse du système immunitaire.
Comme tout autre activité physique, la pratique du cyclisme a de nombreuses vertus pour la santé : réduction des risques cardio-vasculaires, de certaines maladies chroniques, du stress, etc. Selon une étude parue en 2024, pratiquer 1h40 de vélo par semaine serait liée à une baisse de 10 % du risque de décès. Mais comme tous les sports, le cyclisme peut aussi entraîner son lot de petits – ou gros – désagréments, notamment en cas de mauvaises pratiques.
« Les problèmes les plus courants que j'ai eu à traiter chez les coureurs cyclistes étaient cutanés, digestifs et ORL, avec bien entendu toutes les problématiques liées aux chutes » liste le docteur Éric Bouvat, qui fut durant 26 ans le responsable médical d'une importante équipe cycliste professionnelle. Mais pour ce médecin d'équipe aujourd'hui à la retraite, la pratique assidue du vélo est avant tout associée à une question médicale incontournable : les lésions au niveau du périnée, liées aux frottements avec la selle.
Le périnée, l'incontournable zone à surveiller
« Ce sont les problèmes les plus fréquents chez les cyclistes professionnels, bien qu'on les rencontre également chez les amateurs, mais aussi les plus complexes à traiter, avec des causes et des conséquences très variables d'un coureur à l'autre. Cela peut aller de la simple irritation à de véritables plaies, des kystes, ou encore des infections comme les folliculites, voire dans certains cas extrêmes de l'anthrax (conglomérat de furoncles). »
Pour Éric Bouvat, la prévention et le traitement de ces lésions du périnée devraient ainsi concentrer toute l'attention du cycliste amateur comme professionnel, et ce dès l'apparition des premiers soucis. « Tout a une importance pour limiter les risques de lésions : le type de selle, sa position, mais aussi et surtout le cuissard » martèle le spécialiste. Cet élément indispensable qui fait office de zone tampon entre la selle et le séant du cycliste est ainsi à choisir et entretenir avec une grande attention. Sans oublier d'en changer lorsque le cuissard commence à s'user ou si la morphologie du sportif évolue, par exemple suite à une perte de poids. Enfin, les fameuses pommades miracles pour faciliter le glissement entre la surface cutanée du périnée et le cuissard sont à sélectionner minutieusement, car leurs composants peuvent parfois faciliter les irritations, voire des allergies, en se combinant à la sueur. La simple vaseline est quant à elle sans risque et très efficace, mais « c'est l'homéoplasmine, une pommade plus dense, que j'utilisais de manière quotidienne chez les professionnels », ajoute le docteur Bouvat.
Attention aux chutes !
Au rang des lésions susceptibles de s'infecter, la question des chutes est indissociable de la pratique du cyclisme. « C'est un sport de vitesse, avec un risque important de chute et donc de lésions cutanées susceptibles de s'infecter », rappelle le docteur Bernard Castan, du Service des Maladies Infectieuses et Tropicales au centre hospitalier de Périgueux. Pour l'infectiologue, aucune chute n'est à négliger. « Quand on se blesse en tombant sur un chemin de terre ou dans un fossé, les plaies, parfois profondes, sont souillées et susceptibles de s'infecter. » Pour autant, Bernard Castan alerte aussi à propos des chutes sur route, où les frottements entraînent une brûlure de l'épiderme, avec parfois de petits corps étrangers pénétrant la peau. « L'erreur serait de négliger ce type de blessures, à type d'abrasions ou de brûlures. Elles sont pourtant à soigner avec autant d'attention que les autres, afin d'éviter le développement d'une infection ».
Concrètement, il s'agit dans un premier temps de laver abondamment la plaie à l'eau et au savon dès que possible, de retirer tout corps étranger visible puis de désinfecter la plaie propre. Ce qui nécessite impérativement de partir en balade avec une trousse à pharmacie adaptée
Les voies respiratoires en première ligne
Comme d'autres activités physiques de plein air, la pratique du cyclisme s'associe parfois à des problèmes de la sphère ORL. « Quand on pédale, on ventile beaucoup par la bouche, avec un volume d'air plus important qui pénètre dans les poumons, transportant parfois des bactéries ou des virus. Il peut en plus s'agir d'air froid qui agresse et fragilise les voies respiratoires », décrit Éric Bouvat. « Il est donc logique de voir apparaître plus de sinusites, de bronchites ou encore d'otites chez les coureurs cyclistes ».
Les sportifs de haut niveau semblent par ailleurs bien plus sujets à l'asthme (sans que cela n'impacte forcément leurs performances), avec dans certains cas des formes d'asthmes se produisant spécifiquement pendant l'effort, particulièrement en extérieur par temps froid et sec.
Concernant les infections virales contagieuses (grippe, covid, rhume, etc.), l'activité en extérieur réduit normalement les risques de transmission. « Mais il ne faut pas oublier que le cyclisme est aussi parfois un sport d'équipe ! », rappelle l'infectiologue Matthieu Revest, du CHU de Rennes, qui a notamment été consultant sur le tour de France en pleine crise sanitaire du Covid-19. « Les équipes professionnelles partagent les mêmes bus, les mêmes hôtels, évoluent ensemble dans des endroits confinés, avec un risque de contamination important ». Des virus qui se propagent même parfois au-delà d'une équipe, décimant une partie du peloton.
Courir malade ou se reposer ?
Une fois un cycliste malade, qu'il soit professionnel ou amateur, se pose alors deux questions : l'impact sur ses performances et la nécessité ou non de prendre du repos. Concernant la première, le professeur Matthieu Revest répond sans hésitation : « Être malade réduit forcément les performances. Or il s'agit d'une discipline demandant des efforts très importants, où les différences entre sportifs de haut niveau sont souvent infimes. La moindre petite baisse a donc des conséquences immédiates. » Concernant l'attitude à adopter en cas de maladie, tout dépend de l'intensité des symptômes et de l'effort demandé, qui doit rester modéré, avec une règle de bon sens : rester à l'écoute de son corps.
Mais certaines infections impactent tellement les performances que toute activité physique devient impossible, voire même dangereuse. C'est notamment le cas de la mononucléose infectieuse, qui a mis à l'arrêt la carrière de nombreux sportifs professionnels. « Cette infection virale touche une large part de la population. Quand on l'attrape tardivement, après l'enfance, elle provoque une grande fatigue résiduelle, avec dans de très rares cas un risque de rupture de la rate si l'on pratique une activité intense », explique Matthieu Revest. « Cette fatigue résiduelle dure généralement quelques semaines, mais pour des sportifs de haut niveau qui doivent rester au maximum de leurs capacités, cette fatigue peut les impacter pendant six mois à un an ».
L'impact tout en nuances sur l'immunité
Enfin, à l'inverse, la pratique d'une activité comme le vélo peut-elle avoir une influence sur le risque de tomber malade ? Comme l'explique le médecin du sport Stéphane Bermon, également directeur du département « Health and Science » de la fédération internationale World Athletics, tout dépend là encore du contexte et de l'intensité physique. « Si on est correctement entraîné, qu'on ne joue pas avec ses limites, qu'on respecte des temps de repos suffisants, bref, que l'on a une pratique sportive raisonnable, celle-ci a plutôt un effet stimulant sur le système immunitaire. Si on ne respecte pas ces règles, il va au contraire y avoir une baisse du système immunitaire dans les heures qui suivent l'activité physique ».
Ce médecin du sport monégasque invite ainsi à traiter son immunité comme un muscle, qu'il faudrait entraîner progressivement, sans forcer, pour laisser le temps à son organisme de s'adapter à une activité physique régulière… et profiter de tous les bienfaits du sport sur la santé. Car comme l'a estimé une étude menée en Île-de-France, même dans un environnement pollué et potentiellement dangereux pour les cyclistes, les bénéfices resteraient 20 fois plus élevés que les risques. Aucune excuse donc pour ne pas enfourcher son vélo cet été !


Un grand merci aux docteurs Bernard Castan, Stéphane Bermon et Éric Bouvat, ainsi qu'au professeur Matthieu Revest pour leurs témoignages.


Ce reportage vous a été proposé par la Société
de Pathologie Infectieuse de Langue Française (SPILF).
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